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Marchés : une affaire de psychologie

 

Robert Shiller, 73 ans, professeur à l'Université de Yale, a reçu le prix Nobel d'économie en 2013 pour ses études consacrées aux imperfections du marché. Il est notamment célèbre pour avoir contribué à la création d'un indice - l'indice Case-Shiller - destiné à évaluer la situation du marché immobilier aux États-Unis. Ces dernières années, M. Shiller s'intéresse tout spécialement à ce qu'on appelle en anglais les « narrative economics » - c'est-à-dire l'influence sur les marchés et sur l'économie en général de ces anecdotes, informations ou croyances populaires qui, à l'heure des réseaux sociaux, se répandent comme une traînée de poudre à travers la planète.

À l'occasion, le professeur n'hésite pas à se mêler de politique. Il compte parmi les détracteurs de Donald Trump : peu avant la présidentielle de 2016, il fut l'un des signataires d'une lettre collective rédigée par plusieurs prix Nobel d'économie appelant les Américains à ne pas voter pour le milliardaire, jugé « trop incompétent » pour occuper la Maison-Blanche...

Entre deux avions, entre deux conférences, M. Shiller livre parfois ses commentaires de façon informelle, rapide, mais toujours stimulante. Il a bien voulu se prêter à cet exercice pour notre Revue.

F. N.-L.

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Fabrice Nodé-Langlois - Les dirigeants des pays occidentaux affirment de plus en plus souvent qu'il faut « sauver le capitalisme » - ou, en tout cas, le refonder pour le préserver. Ce fut encore le cas au Forum de Davos cette année, auquel vous avez participé. Quels conseils leur donneriez-vous ?

Robert Shiller - Il est bien connu que ce sont les pays les moins inégalitaires qui ont les meilleures perspectives de croissance. Parmi les récents travaux consacrés à ce sujet, je recommande celui de Daron Acemoglu (du MIT) et de James Robinson (de l'Université de Chicago), paru en 2015, qui s'intitule Prospérité, puissance et pauvreté : pourquoi certains pays réussissent mieux que d'autres. Les deux auteurs y expliquent que l'« inclusion » (c'est-à-dire la correction des inégalités, notamment par la redistribution des revenus) conduit à la réussite. Acemoglu a élaboré un modèle, que je n'ai pas vérifié moi-même mais qui est séduisant, selon lequel les grandes idées émergent chez une personne sur 100 000 une fois par siècle. Dès lors, la conclusion s'impose : une société qui souhaite favoriser l'émergence de bonnes idées doit chercher à faire en sorte que le nombre de personnes « intégrées » soit aussi élevé que possible ! A contrario, un pays qui exclut une partie de sa population risque de se couper des bonnes idées qui pourraient naître au sein de ces individus mis à l'écart...

F. N.-L. - Concrètement, que faut-il faire pour favoriser ce processus d'inclusion que vous appelez de vos voeux ?

R. S. - La priorité absolue, c'est l'éducation. Des pédagogues comme l'Italienne Maria Montessori ou l'Allemand Friedrich Fröbel - le « père » des kindergarten à la fin du XIXe siècle - ont enseigné le principe du libre apprentissage et de l'éveil par le jeu. Fröbel a montré que si on laisse des cubes à un groupe de petits garçons sans leur donner de consigne, ceux-ci vont spontanément se mettre à construire quelque chose. Allant à l'encontre des idées préconçues selon lesquelles les filles étaient incapables de bâtir quoi que ce soit, il a réédité la même expérience avec des petites filles et elles se sont mises, elles aussi, à construire. La maternelle est une période clé. C'est là que doivent être enseignées les compétences sociales qui sont un socle essentiel d'une société inclusive.

F. N.-L. - Cette année, le Forum de Davos a été consacré en bonne partie à l'« industrie 4.0 » (à savoir l'industrie où prédominent les robots, l'impression 3D et l'intelligence artificielle). Le développement du numérique dans tous les secteurs d'activité remet-il en cause la capacité de la théorie économique à comprendre le monde actuel ?

R. S. - Les théories économiques développées à la fin du XIXe siècle, comme la théorie de l'équilibre général de Léon Walras (1), demeurent valables. Ce sont des modèles abstraits qui ne peuvent pas être vérifiés directement à travers l'analyse de données chiffrées. N'oubliez pas que les modèles économiques ne sont jamais parfaitement « mathématiques » : il …